« Les monnaies locales, une forme innovante de l’ESS »
Hugues Sibille est président de la Fondation Crédit Coopératif et du Labo de l’ESS, fondateur de l’Avise et ancien secrétaire d’État à l’Économie sociale et solidaire. Nous reprenons ici son intervention en ouverture du webinaire « Les monnaies locales au service d’un concept nouveau : le tourisme participatif », que nous avons organisé en décembre 2020.
Je suis heureux d’introduire ce webinaire en tant que président de la Fondation Crédit Coopératif qui apporte un soutien financier à cette expérimentation concernant l’usage des monnaies locales au service de nouvelles formes de tourisme.
Si je suis présent à cette ouverture, c’est moins en tant que financeur institutionnel qu’en tant qu’homme de conviction et d’engagement.
J’ai accepté de participer à cette ouverture, d’abord parce que je crois en ce que fait Euskal Moneta depuis que je suis venu sur place au titre du Labo de l’ESS me rendre compte de ce qu’était la monnaie Eusko.
J’ai été convaincu par l’efficacité de ce que j’ai vu, en particulier le triangle de réussite entre un projet de transition écologique et sociale fort, la recherche d’un modèle économique équilibré, un engagement de la population. Je suis également présent parce que je suis convaincu que la crise climatique et les crises sanitaires imposeront d’inventer une économie autrement et donc un tourisme autrement.
La Fondation Crédit coopératif est entièrement dédiée à l’Économie sociale et solidaire (ESS). Dotée d’un budget de 1,750 M€, elle finance des initiatives innovantes de l’ESS, des recherches en ESS et des actions de transformation de l’ESS.
Nous devons considérer les monnaies locales et plus largement les monnaies alternatives comme des acteurs de l’ESS à part entière, comme une forme innovante d’ESS. Et ce d’autant plus après la crise pandémique de la Covid qui, on le sent bien, impose un gros effort de relocalisation des activités. Dans mon esprit, l’ESS est à la pointe d’une nouvelle économie de proximité, plus juste et plus durable.
Je vous propose deux points rapides de réflexion pour la suite de vos travaux, en tant qu’acteur de l’ESS depuis longtemps, mais de plus en plus convaincu que c’est une économie d’avenir.
Le premier point, c’est que l’ESS doit être à la pointe de la transition écologique en inventant une économie autrement. Il faut sortir d’une division entre une économie créatrice de richesses mais polluante, et une écologie réparatrice ou punitive. L’ESS peut être cette économie autrement, qui conjugue économie et écologie.
L’économie autrement, c’est celle où le pouvoir de décision n’appartient pas au seul actionnaire, où la lucrativité est limitée, où des critères d’utilité écologique et sociale sont pris en compte, où le pouvoir et les revenus sont équitablement partagés.
L’enjeu actuel de l’économie autrement c’est de mon point de vue de sortir de la sempiternelle question « Faut-il plus de marché ou plus d’État ? » et de faire confiance à la société civile. Comment le citoyen conquiert davantage de pouvoir direct sur la production, la distribution, la consommation, l’épargne, les choix énergétiques, etc. ? Les monnaies locales sont à l’évidence un des moyens de conquête du pouvoir direct des citoyens sur l’économie.
Pour cela il faut des outils et des stratégies, aussi bien pour les territoires que pour les filières. Je pense par exemple à des exemples de stratégies ESS de filières comme celles de l’alimentation durable (Biocoop, Jardins de Cocagne…), de la mobilité durable (Railcoop, Mobicoop…), ou de la Transition énergétique citoyenne (Enercoop).
Le tourisme doit devenir également un sujet stratégique d’une ESS écologique, ce qui n’est pas encore vraiment le cas.
Les stratégies de filières et de territoires ont aussi besoin d’outils juridiques et financiers. De ce point de vue, je défends vivement l’outil Scic (Société coopérative d’intérêt collectif) comme étant adapté à de nouvelles stratégies de conquête entrepreneuriales. Je défends des outils de financement de proximité tels que les fondations territoriales, les livrets d’épargne de proximité. Et les monnaies locales peuvent être des outils majeurs de développement pour ces stratégies.
Le second point c’est que pour avancer dans une transition plus écologique et plus solidaire, plus résiliente, les choses se joueront d’abord sur la qualité des écosystèmes de coopération locale.
Le Labo de l’ESS a beaucoup travaillé sur les Pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) et les dynamiques collectives de territoire. La coopération ne se décrète pas, elle se constate. Elle implique des changements de comportements, une confiance qui se construit pas à pas, des outils de travail, des formes de gouvernance, de l’ingénierie. Ce qui est nouveau c’est que les citoyens/habitants soient inclus dans ces coopérations, soient acteurs participants.
On retrouve là votre sujet d’une part parce que la monnaie locale peut être un outil de confiance et de coopération. La monnaie repose sur la confiance et crée la confiance ; d’autre part, parce que le touriste au lieu d’être un simple consommateur devient un acteur de transition du territoire.
L’ambition de votre projet d’inventer de nouvelles formes de tourisme durable et équitable est essentielle. Je dirais un tourisme de proximité mais aussi un tourisme de l’humain et de préservation des équilibres de la planète.
Après la Covid rien ne sera plus comme avant en matière de circuits courts ou de tourisme. À l’ESS de savoir répondre aux nouveaux enjeux et aux nouvelles aspirations. Si elle ne le fait pas, le capitalisme classique le fera.
Le tourisme industriel a créé des emplois et de la richesse. Mais il a des externalités négatives considérables. Raison pour laquelle je me suis opposé au projet d’Europa City. Les élus locaux doivent apprendre à résister au chantage à l’emploi.
Le tourisme social associatif de son côté a combattu les inégalités et démocratisé l’accès au tourisme. Puis il a été en crise et doit se réinventer. Intégrer davantage les enjeux écologiques.
Je conclus en disant que l’Eusko est une référence en matière de monnaie locale. Il faut sortir les monnaies locales d’une certaine marginalité où elles sont. Il faut accroitre leur efficacité et leur impact, je n’ai pas peur des mots.
Votre Institut des monnaies locales a un rôle important à jouer et doit avoir de l’ambition. Soyez ambitieux ! Réussissez ! C’est le meilleur que vous pouvez apporter au monde de demain.
Je pense que nous sortirons de la Covid. En revanche les menaces dues à la crise climatique, aux inégalités sociales ou au recul de l’État de droit sont bien devant nous.
L’ESS est une réponse parmi d’autres, une réponse ouverte, tolérante, qui doit se fixer comme but de polliniser le reste de l’économie et devenir la norme.
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